24 août 2009

Andriamena, histoire d'une photo

C'était une photo, une des premières photos en couleur, que j'ai toujours vue. Nous vivions sous la tente, sur les hautes terres, en mission géologique, au fin fond de Madagascar. Je suis sur les genoux de ma mère. Mon père prend la photo. Au verso, il a écrit : "Andriamena". Je n'avais que ce nom. A Madagascar, personne ne connaissait. Et pourtant, partis à l'aventure, nous avons trouvé ce vieux panneau routier, dans la nuit. "N'y allez pas, c'est dangereux" disaient certains. Nous y sommes allés.

A l'entrée de Brieville, un village minier, le chef des gendarmes nous barre la route. "Où est Andriamina ? Reconnaissez-vous l'endroit, sur cette photo ? Savez-vous qui peut encore se souvenir de cet homme ? (mon père, sur une autre photo)".

On nous emmène à la mine de chrome, sur le plateau. En fait, c'était là, sur ce plateau, notre tente. Mon père a fait les relevés pour cette mine. A l'époque, il n'y avait rien, juste notre tente. Notre Andriamena s'appelle aujourd'hui Brieville. C'est le village qui fut construit bien après, pour héberger les mineurs.



Passionné par cette chasse aux souvenirs, le capitaine des gendarmes se prend au jeu et nous amène à Brieville, petit village modèle et blanc au milieu de nulle part, où les zébus passent tranquillement devant l'école et le bureau local de l'Alliance Française...
Il fait appeler une célébrité, un extraordinaire vétéran, Monsieur Charles Marcel. Monsieur Charles, presque 80 ans, porte beau, parle haut, se souvient de tout. Il a été cartographe: c'est lui qui a fait tous les relevés cartographiques des cartes géologiques de mon père. Personne ne dit plus rien. Cela semble presque trop incroyable, après tout ce temps. Mais Monsieur Charles ne voit presque plus rien. Il ne peut pas me voir, ni reconnaitre qui que ce soit sur les photos.

Une idée : peut-être le comptoir des chercheurs d'or, à quelques mètres, a-t-il des loupes puissantes de gemmologue ? Nous y allons en file indienne.

Mais il n'y a qu'une faible loupe au comptoir des chercheurs d'or,et même en s'acharnant, Monsieur Charles ne peut pas voir cet homme qu'il a connu et avec qui il a travaillé.



Mais il se souvient de son nom.
-Oui, bien sûr que je me souviens de Monsieur L.. C'était le seul wasa (blanc) qui jouait au foot avec les gamins du village. Il avait deux filles.
- La seconde, c'était moi.

Monsieur Charles, tenant la photographie, qui a voyagé 11 000 kilomètres pour retrouver le lieu qu'elle a capté. Ce sont des choses qui donnent le frisson. Il se souvient de tout. Du nom de Marthe, la jeune fille du village qui s'occupaient de nous enfants. Elle est toujours en vie.
Monsieur charles m'a donné un quartz rose de sa collection personnelle. Il n'a pas voulu que j'enregistre une vidéo de lui. "Bientôt, je ne serai plus là, si mes enfants la voient, ils pleureront, et un homme doit être comme la mère des abeilles (la reine), ne laisser que quelque chose de doux et de sucré derrière lui".
Je lui ai envoyé ces photos. L'histoire continue.

4 commentaires:

La Sudiste a dit…

Vous ne pouvez imaginer l'émotion que j'ai ressenti en lisant vos messages, comment si je lisais un très beau livre.
Une fois de plus, merci de nous faire partager ces moments précieux.

Regardeuse a dit…

Je l'imagine d'autant mieux que j'ai eu la même.
merci.

Fay a dit…

Très belle et touchante cette histoire !

LG a dit…

une longue absence et je tombe sur ce post... très très émouvant !
je suis heureuse pour vous que vous ayiez pu retrouver un témoin du passé

je retiendrai la pensée de ce Monsieur nous qui au contraire essayons tout le temps de laisser des traces...